Les Pays-Bas : un paradis pour les personnes LGBTQI+ ?
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Marine DUPÉ
Francine à vélo, c’est trois femmes cis-genres et hétérosexuelles. S’est donc bien sûr posée la question de notre légitimité à écrire sur les discriminations subies par les personnes LGBTQI+ aux Pays-Bas. On a finalement décidé de s’exprimer en alliées de la cause des minorités sexuelles et de genre, en s’appuyant sur des statistiques officielles et les confidences de nos proches directement concerné.es par la question. Cet article ne vise pas à exposer notre point de vue (dont tout le monde se fout), mais à inviter d’autres allié.es à se questionner et à engager la conversation avec leurs ami.es, collègues ou voisin.es. Nous voulons également partager les chiffres de la discrimination sexuelle et de genre aux Pays-Bas, car ils proposent une nouvelle grille de lecture de notre pays d’accueil.
Si cet article vous donne envie de réagir, de témoigner, de compléter, voire de protester, n’hésitez surtout pas à nous écrire.
Les Pays-Bas : précurseurs en matière de droits LGBTQI+ ?
L’histoire des minorités sexuelles et de genre aux Pays-Bas est si dense qu’elle mériterait des centaines d’articles (qui reprendraient notamment les quatre heures du magnifique documentaire De Roze Revolutie – en néerlandais). Nous avons retenu quelques dates.
Il s’est passé trop peu de choses depuis 2001 et seul un tiers des personnes LGBTQI+ pensent encore que les Pays-Bas sont à l’avant-garde en ce qui concerne leurs droits.
L’âge d’or gay : la révolution révolue
Pour beaucoup, les Pays-Bas gay “c’était mieux avant” (comme le rap français). L’âge d’or aurait résolument pris fin dans les années 90, après les délirants Gay Games, et on assisterait même à un retour du puritanisme. Pourtant, les chiffres officiels ne justifient pas ce sentiment : depuis cet âge d’or, les personnes LGBTQI+ ont gagné de nouveaux droits, sont mieux représentées dans la société, moins stigmatisées et mieux intégrées. Alors pourquoi regretter un temps que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître ?
Ce passé fabulous et la révolution sexuelle française de 68 ont ceci en commun qu’ils marquent l’explosion de la chape des répressions. C’est la “parenthèse enchantée » d’avant le SIDA, une période de liberté sexuelle et d’amour libre. L’économie est florissante, la population résoluement optimiste : l’âge d’or gay des Pays-Bas, comme la révolution sexuelle en France, est l’aboutissement orgasmique d’un mouvement d’émancipation qui se préparait depuis plusieurs décennies.
Aujourd’hui, homos et hétéros ne baisent plus avec la fougue des soixante-huitards pour qui tout était nouveau, intense, comme une revanche sur la vie. Les fêtes sont moins folles car il est impossible de leur rendre le goût de la nouveauté, et les vieux racontent avec nostalgie l’époque où tout a commencé. Même les grandes célébrations de Pride Amsterdam ne font pas l’unanimité au sein de la communauté LGBTQI+ : certains jugent offensant les boas roses et les corps huilés qui, selon eux, ne tendent qu’à renforcer les stéréotypes. Bref, le néo-puritanisme est de tout bord.
Si certains gays regrettent ces années folles (qui sont aussi celles de leur jeunesse), d’autres mettent en garde : “Il faut faire attention à ne pas trop romancer et idéaliser le passé.”
Tout n’est pas rose aux Pays-Bas pour la communauté arc-en-ciel
Nostalgie ou pas, les statistiques rappellent tristement que la discrimination n’épargne aucun pays, et surtout pas les Pays-Bas. Dans la rue, au travail, à l’école ou encore à l’hôpital, les insultes, l’intimidation, les menaces et les violences physiques et sexuelles sont monnaie courante pour les personnes LGBTQI+.
C’est en ville, et notamment à Amsterdam, que les couples homosexuels se sentent le moins en sécurité car ils sont plus à même d’être interpellés, voire agressés, dans l’espace public. Ils sont plusieurs à dénoncer de ne plus pouvoir se tenir par la main, comme il y a 15 ans, sans risquer de se faire interpeller. Johan Bos, un homosexuel amstellodamois, se désole : “La société est devenue moins tolérante, et pas seulement envers les gays. D’autres minorités sont également en difficulté.”
"La visibilité croissante des personnes transgenres peut laisser croire que l'émancipation avance, mais elles sont toujours quotidiennement confrontées à l'exclusion."
Brand Berghouwer, président de Transgender Network Netherlands
D’après le dernier rapport de Transgender Network Netherlands (TNN), il arrive encore aux Pays-Bas que des personnes trans se fassent harceler dans la rue et renvoyer pendant leur transition, qu’elles ne reçoivent pas de soins médicaux et ne soient pas autorisées à utiliser les toilettes qui correspondent à leur identité de genre.
Dans un pays dont l’adage est “Doe maar gewoon, dan doe je al gek genoeg” (Agir comme tout le monde, c’est déjà assez fou), il n’est finalement pas surprenant que les personnes LGBTQI+ ne se sentent pas toujours le droit de se comporter comme elles le voudraient. Encore 29 % de la population juge offensant qu’un couple d’hommes s’embrasse en public, alors qu’ils ne sont “que” 11 % à être gênés par les effusions d’un couple hétéro. Si les différentes orientations sexuelles sont bien acceptées par les Néerlandais, il est attendu des personnes LGBTQI+ qu’elles vivent encore plus discrètement que les autres, déjà soumises au décourageant dicton “Wie het hoofd boven het maaiveld uitsteekt, wordt zijn kop eraf gehakt” (Celui dont la tête dépasse aura la tête coupée).
Sans surprise, les personnes de plus de 70 ans et/ou pratiquant une religion sont moins tolérantes aux orientations sexuelles qui dérogent de leur norme. Toutefois, les personnes âgées ne sont pas les seules à avoir un problème avec les minorités sexuelles : 18 % des jeunes indiquent ne pas vouloir d’ami gay et 13% d’amie lesbienne. Les bandes de jeunes sont les plus à même d’interpeller, voire d’agresser, des personnes LGBTQI+ dans l’espace public.
Aux Pays-Bas, comme partout, la parole homophobe se déchaine dangereusement sur les réseaux sociaux qui sont devenus un nouvel espace public incontrôlable pour harceler et intimider. En 2018, 11,4 % des jeunes homosexuels ou bisexuels ont dû faire face à des agressions en ligne : c’est plus de deux fois plus que les jeunes hétérosexuels.
Ces discours et actes haineux à l’encontre des personnes LGBTQI+ font dramatiquement chuter les Pays-Bas aux 12e rang du classement Rainbow Europe des pays européens gay friendly.
7 personnes LGBTQI+ sur 10
subiront des violences physiques ou verbales dans leur vie en raison de leur orientation sexuelle ou de genre
+/- 15 organisations
proposent des thérapies de conversion aux Pays-Bas
40 % des personnes transgenres
sont victimes de discrimination sur leur lieu de travail et lors de leur recherche d’emploi
Les Pays-Bas restent une exception mondiale en matière de droits et d’initiatives pour les personnes LGBTQI+
À l’heure où certains pays européens adoptent des lois discriminatoires à l’encontre des minorités sexuelles (comme la Hongrie, pour n’en citer qu’un), 92 % de la population des Pays-Bas estime que les homosexuels et les lesbiennes doivent mener leur vie comme ils l’entendent. Mieux encore, 71 % des Néerlandais sont des alliés des LGB et 22 % sont neutres. Ils ne sont plus “que” 7 % à avoir une opinion négative, contre 15 % il y a 10 ans. Ces chiffres expliquent pourquoi, aux Pays-Bas, 67 % des personnes LGB sont toujours transparentes sur leur orientation sexuelle, alors qu’elles ne sont que 47 % dans les 28 pays membres de l’UE (les Pays-Bas faisant donc clairement remonter cette moyenne).
Pour lutter contre leur isolement, l’application sécurisée Jongenout.nl permet aux mineurs LGBTI de rencontrer d’autres jeunes pour parler coming out, amour et genre. L’application organise également des activités pour que ces jeunes puissent se rencontrer et échanger IRL.
Depuis novembre 2019, les personnes intersexes, transgenres, non binaires, androgynes et queer sont protégées par la loi générale sur l’égalité de traitement (Awgb). Encore mieux : les droits des personnes LGBTQI+ devraient bientôt être inscrits dans l’article 1 de la Constitution, comme le souhaitent 74 % des Néerlandais.
Aux Pays-Bas, les chiffres semblent donc évoluer dans le bon sens et l’augmentation des signalements pour agression ou discrimination pourraient même être un signe encourageant. En effet, certains membres de la communauté estiment que ces plaintes sont la conséquence d’une libéralisation de la parole : les minorités sexuelles ne tolèrent plus et dénoncent des faits qu’elles n’auraient jamais osé exposer il y a encore quelques années.
Pour inciter les victimes à se rendre au commissariat, il est même possible aux Pays-Bas de déposer sa plainte auprès d’un policier du Roze in Blauw, le réseau policier officiel de la communauté LGBTQI+.
Personne ne peut plus ignorer les violences et les discriminations homophobes, biphobes et transphobes qui sont filmées, publiées et partagées tous les jours. En avril 2020, la vidéo choquante de deux hommes se faisant agresser dans la rue a fait l’actualité : smartphones et réseaux sociaux sont devenus un outil majeur dans la transmission de l’information, notamment locale. Cette médiatisation renforce l’idée d’une recrudescence de l’homophobie, mais il se pourrait qu’elle ne passe simplement plus inaperçue. Ni vues, ni connues, ces discriminations intolérables sont désormais sur tous les feeds.
Face à cette violence, la solidarité envers la communauté LGBTQI+ s’affiche ouvertement aux Pays-Bas. En 2020, dans l’est de la capitale, des milliers d’Amstellodamois ont accroché un drapeau arc-en-ciel à leur fenêtre en signe de protestation contre plusieurs actes homophobes perpétrés dans le quartier. Beaucoup de drapeaux sont restés et l’est d’Amstrerdam apparait désormais, et paradoxalement, comme l’un des quartiers les plus gay friendly de la ville.
Pour luter contre la discrimination, l’intimidation et la violence à l’encontre des minorités sexuelles, 55 communes des Pays-Bas sont désormais des Regenboogstad (ville arc-en-ciel). À l’aide d’une subvention gouvernementale, ces villes promeuvent activement l’émancipation, la sécurité et l’acceptation sociale des personnes LGBTI, en particulier des personnes âgées, dans les écoles et le sport.
impose aux écoles de veiller à ce que les élèves et les enseignants LGBTI se sentent en sécurité et acceptés