Le temps partiel aux Pays-Bas : piège ou panacée ?
crédits illustration : QuentinVijoux
Les Néerlandais sont les champions d’Europe du travail à temps partiel. Plus spécifiquement, la majorité des Néerlandaises travaillent à temps partiel, c’est-à-dire 35 heures par semaine ou moins.
D’après le service néerlandais de la statistique (cbs.nl), en 2021, 48% de la population active travaillait à temps partiel : 70% des femmes et 28% des hommes.
En France, 25 % des femmes n’exercent pas à temps plein contre 10 % des hommes, soit 18 % des salariés.
En moyenne, les hommes aux Pays-Bas travaillent 37 heures par semaine et les femmes 27 heures par semaine.
Travailler à temps partiel : un choix ?
Pour la professeure d’économie Janneka Plantenga, tout le système social néerlandais est fondé sur la disponibilité des femmes… Enfin, des parents, mais ce sont majoritairement les femmes qui s’adaptent au système.
Les horaires scolaires, avec des journées qui finissent à 15h00, et le coût exorbitant des crèches concourent à ce qu’un des deux parents travaille à temps partiel.
Si la décision de savoir quel parent va réduire son activité est prise d’un point de vue économique, c’est majoritairement la mère, qui a souvent un salaire moins élevé, qui va le faire.
Lorsque la décision est prise d’un point de vue psycho-sociologique, c’est encore une fois la mère qui diminuera son temps de travail, parce que la pression d’être dévouée à sa famille pèse principalement sur ses épaules.
Aux Pays-Bas comme ailleurs, les femmes sont majoritairement en charge des enfants et du foyer. En France, 80 % des femmes et 45 % des hommes s’occupent quotidiennement des tâches ménagères et du soin des enfants, aux Pays-Bas, c’est 75 % des femmes et 55 % des hommes.
L’histoire du temps partiel aux Pays-Bas
On pense souvent que le schéma traditionnel de l’homme au travail et la femme à la maison est ancré en Occident depuis… la nuit des temps.
Mais ce n’est pas le cas.
En Europe, au Moyen-Âge, les femmes travaillaient aux champs. Au moment de la Révolution industrielle, elles sont montées à la ville pour travailler dans les usines, en particulier dans l’industrie textile. Même si ce sont majoritairement les femmes célibataires qui travaillent en usine, les critiques du travail féminin ne manquent pas.
L’émancipation des femmes françaises doit beaucoup aux guerres et en particulier la 1ʳᵉ guerre mondiale durant laquelle elles ont pris la place des hommes partis au front. À leur retour, beaucoup de femmes ont choisi de travailler plutôt que de s’occuper uniquement du foyer.
En 14-18, les Pays-Bas étaient neutres : pas de mobilisation générale, pas besoin de femmes dans les usines…
Elles n’investiront le marché de l’emploi massivement qu’au moment de la 2e guerre mondiale. À l’issue de celle-ci, elles feront face aux critiques avec des slogans comme “Moeder in het gezin en niet in de fabriek!” : Maman au foyer, pas à l’usine.
Au début des années 80, le taux d’emploi des Néerlandaises était parmi les plus bas de l’OCDE. Il a progressivement augmenté, en particulier grâce au travail à temps partiel. À cette époque, le temps partiel était vu par le gouvernement, les syndicats et les entreprises comme un moyen de dynamiser le marché de l’emploi en temps de crise.
Dans les années 90, le développement du temps partiel était un moyen de flexibiliser un marché de l’emploi dynamique et d’y augmenter la participation des femmes
Mais l’image de la mère de famille dédiée à sa famille perdure encore aujourd’hui : en tant que mère de famille, on n’outsource pas l’éducation et le soin des enfants à des babysitters ou des nourrices.
C’est un standard auquel bien des expatriées se trouvent confrontées…
L’homme est toujours vu comme le principal contributeur financier du foyer.
40 % des Néerlandais (hommes et femmes) pensent que leur famille souffrirait si la femme travaillait à temps plein. Seulement 4 % des Néerlandaises travaillant à temps partiel préféreraient travailler à temps plein. Ce taux est de 15 % en Allemagne et au Danemark et de 30 % en France alors que dans ces pays, le taux de travail à temps partiel est bien plus faible qu’aux Pays-Bas.
Métiers féminins et travail à temps partiel
La maternité n’explique pas tout, loin de là… Les deux tiers des femmes travaillant à temps partiel n’ont pas d’enfants en bas âge. Il s’agit soit de femmes n’ayant pas encore d’enfant, soit de femmes dont les enfants adultes ont quitté le foyer.
Ce qui détermine le temps partiel pour les femmes n’est donc pas tant le fait d’avoir des enfants à charge que le fait de travailler dans un secteur majoritairement féminin, comme le soin et l’accueil des jeunes enfants qui sont par ailleurs parmi les moins bien rémunérés, et qui proposent principalement des emplois à temps partiel.
Les chiffres qui suivent sont éloquents (CBS) : ils répondent à la question : Qui travaillent à temps partiel aux Pays-Bas ?
94% des caissiers et caissières.
91% des personnes travaillant dans le soin.
89% des assistant et assistantes en pharmacie
82% des managers de garderie et assistants et assistantes scolaires
79% des serveurs et serveuses
78% des assistants et assistantes médicales
87% des infirmiers et infirmières
86% des aides en cuisine
83% des personnes de ménage
Ces métiers ont en commun d’être très féminisés… Le temps partiel, et ce n’est pas propre aux Pays-Bas, est symptomatique d’une segmentation genrée de l’emploi.
Pourquoi le temps partiel est-il potentiellement un problème ?
On a tendance à penser que le fait de travailler à temps partiel pour une femme (en pariculier une mère) est un choix personnel, fait en dehors de toute autre considération.
Le travail à temps partiel n’est pas en soi le problème… si c’est un choix personnel et non une réponse à la nécessité de prendre soin des enfants et du travail domestique.
Et l’impact de la perte de revenus se fait sentir tout au long de la vie. Manque d’avancement de carrière parce que certains postes ne peuvent pas être à temps partiel (c’est un autre débat…), donc perte de revenu sur la durée, et donc perte de revenu au moment de la retraite. ATRIA (https://atria.nl/, Institut d’information sur l’émancipation des femmes) estime que la perte de revenue cumulée sur une vie est de 300 000€.
On observe également de plus grandes difficultés en cas de séparation du partenaire qui était la personne qui apportait le plus gros salaire.
Une étude de l’université d’Utrecht montre que 64% des Néerlandaises sont financièrement indépendantes contre 81% des hommes.