Rencontre avec Mascha Ihwe

Temps de lecture

0 minutes
Image de L'équipe Francine

L'équipe Francine

Aujourd’hui, alors que s’achève la sixième édition du Festival Tapis Rouge, Francine vous emmène dans les coulisses de cet événement qui bouscule la scène culturelle d’Amsterdam en vous proposant un entretien exclusif avec sa directrice : Mascha Ihwe.

Tapis Rouge casse les codes en offrant au public néerlandais et international une sélection de films qui osent montrer la francophonie dans toute sa diversité, sans filtre ni barrières. Un véritable pont entre les cultures, qui rappelle que le cinéma n’est pas l’apanage d’une poignée de privilégiés, mais qu’il appartient à tout le monde.

 

Depuis 2023, Mascha Ihwe a pris les rênes du festival qu’elle conduit guidée par des valeurs fortes. À l’aube du lancement de cette sixième édition, elle nous parle sans détour de ses choix artistiques engagés, de son envie d’intégrer pleinement une dimension sociale à cet évènement culturel, et de ses ambitions pour rendre le cinéma accessible et inclusif. 

Dans un monde où le septième art est encore souvent considéré comme trop élitiste ou conservateur, hésitant à embrasser pleinement la diversité et l’audace, Mascha Ihwe et cette nouvelle édition de Tapis Rouge prouvent que le cinéma peut — et doit — refléter toutes les voix.


Francine se devait de rencontrer l’audacieuse Mascha, et de lui poser quelques questions.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Mascha Ihwe. Je suis la directrice du Festival Tapis Rouge depuis l’année dernière. 

Je suis Allemande. J’ai vécu 13 ans à Paris, en France et suis à Amsterdam depuis 15 ans. Ma vie me ressemble : je suis quelqu’un de très curieux, qui aime les relations humaines. Cela m’a inspiré toute ma vie et m’a conduit où je suis, aujourd’hui.

Quel est votre parcours scolaire ? 

J’ai passé mon Baccalauréat Européen ici, aux Pays-Bas à Bergen, puis des études de droit en Allemagne. Mais j’ai toujours été attiré par l’art, la création et la gent humaine dans toute sa diversité et sa complexité. C’est pour ça que j’ai repris des études de cinéma à l’École de Cinéma à Paris (CLCF). Ça a toujours été une passion, et je me sentais plus à l’aise dans un monde culturel ou non gouvernemental, plutôt que dans un monde business, pour des questions d’éthique notamment. J’aime les failles humaines et les récits qui nous font comprendre le monde. 

Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ? 

Si on revient un petit peu en arrière, je travaille depuis 15 ans, ici, aux Pays-Bas, dans le monde de la culture. J’ai travaillé aussi bien avec de petites structures comme le Tolhuistuin qu’avec des gens et organisations qui ont marqué et marquent encore le monde culturel néerlandais, comme Priscilla Vaudelle, Anthony Heidweiller, Maarten van Hinte, Massih Hutak, Marjorie Boston, CinemAsia, Het Huis Utrecht ou le Prince Claus Fund.

J’ai également travaillé 8 ans à The European Cultural Foundation ici, aux Pays-Bas. Et c’est là que j’ai ressenti le besoin de comprendre mon environnement. J’ai commencé à ressentir que des murs se hissaient entre les différentes communautés qui vivent ici. Cela me préoccupait énormément. J’ai alors choisi de quitter mon poste à la fondation pour travailler localement. Mon but était de mieux comprendre ce que le pays traversait. Ceci coïncidait avec les grands mouvement socio-culturels, #MeToo et Black Lives Matter.

Depuis, je travaille en tant qu’indépendante dans le secteur culturel, comme conseillère, collectrice de fonds et programmeuse. 

J’ai notamment travaillé pour une association, que j’aime beaucoup, qui s’appelle RIGHT ABOUT NOW INC. Elle est gérée par deux personnes fortement engagées pour la parité sur les podiums de théâtre, Marjorie Boston et Maarten van Hinte.

J’ai aussi fait un projet pour Cinema Asia, un festival qui partage la richesse des productions cinématographiques asiatiques 

Les projets dans lesquels je m’engage ont un dénominateur commun : ils célèbrent la richesse culturelle, contribuent à casser des stéréotypes et invitent à la curiosité face à l’inconnu. C’est ce qui m’inspire et me donne de l’énergie.

Est-ce que ce changement d’environnement, cette entrée dans un monde culturel plus communautaire vous a permis de mieux comprendre le monde et de pouvoir vous investir dans les enjeux qui, vous, vous tiennent à cœur ? 

Oui. Quand je vivais à Paris, j’ai vu les disparités ethniques. J’avais des amis extraordinaires, brillants, ayant fait des études ou étant des créatifs hors pairs, qui vivaient le racisme tous les jours. À partir de ce moment-là, mon engagement a toujours été le même : comprendre les mécanismes de l’exclusion pour créer des lieux de rencontres, de curiosité et surtout créer du lien.  

Est ce que vous avez le sentiment d’avoir cet accomplissement avec Tapis Rouge : de pouvoir mettre le festival au service des causes auxquelles vous croyez ?

Tout à fait. Ce festival se concentre non seulement sur les histoires de la France, mais aussi de la francophonie dans sa globalité. Ce festival est une invitation à voir d’autres réalités, d’autres façons de vivre, d’autres destins, d’autres impressions de vies. Je crois aussi que c’est pour cette raison que Pierre-Pascal Bruneau, le fondateur de l’Échappée Belle – fondation qui initie le festival — m’a invitée à prendre le poste de directrice. Il souhaite rendre ce développement possible. Cela se lit très concrètement pour cette édition, notamment, à travers notre première collaboration avec l’école Kourtrajemé Montfermeil. Quel bonheur de pouvoir travailler avec ces élèves !

Le choix du film d’ouverture, La Pampa, d’Antoine Chevrollier, co-écrit avec Faïza Guène et Bérénice Bocquillon, en est une autre illustration. J’espère, par le choix des histoires que nous partageons lors de ce festival, pouvoir toucher les gens.

Le monde du cinéma est très masculin. Cela change, heureusement, mais il y a encore beaucoup de chemin à faire. Notre porte est grande ouverte aux talents féminins, aux voix de femmes, ainsi qu’au travail de personnes non binaires.



Avez-vous des exemples concrets à partager ? 

Dans le programme de cette année, je suis ravie qu’on ait un magnifique film d’une réalisatrice canadienne, Sophie Dupuis. Solo nous plonge dans un univers queer et son acteur principal, Félix Maritaud, est formidable.

Nous avons la chance également de travailler avec Rosalie Varda, la fille d’Agnès Varda. 

Notre programme est dédié à ce renouveau. On invite à être aventurier / aventurière, à affirmer ses idées et à faire du cinéma engagé. 

 

Quelles sont les autres grandes nouveautés de cette année ? 

Le Lab 111 est notre nouveau lieu de rencontre, à côté de Filmhallen. On y a offert des ateliers, notamment un programme qui s’appelle Côte à Côte, où justement on fait le parallèle entre l’œuvre d’Agnès Varda et celle de la nouvelle génération. On a tenu deux autres ateliers également, une discussion autour de la voix des femmes dans le cinéma (Voix des Femmes — Passé, Présent et Futur), le 28 septembre, avec notamment Rosalie Varda, Delphine Deloget et Amanda Beauville-Diouf et un atelier d’écriture (Storytelling) le 29 septembre avec Thomas Gayrard, le responsable pédagogique de Kourtrajmé et Bérénice Bocquillon, co-scénariste de La Pampa, notre film d’ouverture. 

 

En parlant de public, savez-vous s’il est 100% francophone ?
C’est un vrai mélange ! L’année dernière il me semble que c’était 65% de néerlandais et 35% de francophones et internationaux. 

Mais encore une fois, on veut vraiment devenir un festival qui promeut la culture française dans son ensemble, toute la francophonie. On n’est pas dans l’élite cinématographique française comme on peut l’entendre. On veut partager tout ce qui est beau et spécial dans le cinéma français : l’avant-gardisme, les gens qui savent sublimement parler et écrire. C’est cet amour pour ce cinéma français qui le rend aussi populaire ici, aux Pays-Bas et dans le monde entier. 

 

Justement, comment expliquez-vous cette relation des Néerlandais à la langue française, à la francophonie et donc par extension, au cinéma francophone ?

A cause de l’Histoire et l’amour que les Néerlandais portent à la France, à sa richesse culturelle, son savoir-vivre, ce « je ne sais quoi‘. La France est aussi une destination de vacances très populaire.

Mais aussi, il est certain que la France tient une place spéciale, de précurseure dans l’histoire du cinéma (les Frères Lumières, Georges Méliès, Alice Guy). Il y a aussi un véritable respect, une adoration pour le cinéma d’auteur-réalisateur mais aussi la qualité du cinéma de genre produits aujourd’hui.

Quelle est votre vision à long terme pour Tapis Rouge ? 

L’objectif initial sera toujours le même : créer du lien et faire entendre des voix et partager des films qui ramènent à la lumière des histoires qui resteraient dans l’obscurité sinon. Pour le reste, je ne peux pas vraiment en parler, c’est encore en développement. Tout ce que je peux vous dire c’est que j’ai envie qu’on devienne LE lieu aux Pays-Bas pour le partage des meilleures productions francophones et un lieu de transmission et d’échange entre les talents des Pays-Bas et des talents francophones. 

 

Quels sont vos coups de cœur pour cette édition ? 

C’est une question difficile – si je dois choisir: les court-métrage des talents de l’École Kourtrajmé Montfermeille et les films de la catégorie Premier Long, parce qu’ils représentent le futur du cinéma francophone. Mais j’ai aussi adoré Emilia Perez, la dernière œuvre magistrale de Jacques Audiard.




 

Nul doute : le festival Tapis Rouge est plus qu’un simple événement cinématographique. C’est une véritable plateforme de transformation, où le cinéma devient un outil pour questionner, transmettre et surtout rassembler.

Sous la direction de Mascha Ihwe, Tapis Rouge prend un tournant audacieux, mêlant engagement social, diversité culturelle, et un profond désir de faire du septième art un espace où chacun peut se reconnaître. Alors que la sixième édition s’apprête à baisser le rideau, nous avons pu noter que le festival ne se contente plus de projeter des films, il lance un message fort : il donne accès à une culture inclusive, à travers un art qui ose déranger et bousculer, tout en créant du lien. 

Le rendez-vous est déjà pris pour la septième édition.

 

Pour tout savoir sur le festival Tapis Rouge : https://tapisrougefransfilmfestival.nl/fr/

 

Tapis Rouge est une initiative de la Fondation L’Échappée Belle. Pierre-Pascal Bruneau est le fondateur de la fondation et l’initiateur du festival.

 

Tapis Rouge, c’est aussi Petra van Dongen, Sarah Morgan, Noa de Thy, Fey Lehiane, Bloem van der Linde, Elise Klein-Wassink et tous les bénévoles de la Fondation L’Échappée Belle.

 

Carte d'identité

Prénom : Mascha 

Nom : Ihwe

Profession : Directrice du Festival Tapis rouge

actu : Sixième édition du festival Tapis Rouge du 26/09 au 06/10 2024