Pourquoi
mange t-on

"si mal"

aux pays-bas

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Passée la découverte enthousiaste des bitterballen et des poffertjes, tous les Français se sont certainement posé cette question bien légitime : pourquoi mange t-on si mal aux Pays-Bas ? Car malgré ce que certains voudraient nous faire croire, une gastronomie ne peut pas entièrement reposer sur des boulettes au ragoût. 

 

L’âge d’or de la gastronomie Dutch

Notre enquête nous conduit aux 16e et 17e siècles qui marquent la grande époque du développement des gastronomies européennes. Initialement, les Pays-Bas ne sont pas en reste : inspirés par les prouesses culinaires des Français – dont l’influence rayonne déjà sur toutes les cuisines – les Néerlandais redoublent d’ingéniosité dans des livres de recettes à destination de la noblesse et de l’aristocratie. 

Le calvinisme : les carottes sont cuites

En 1602, la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales (COV) est créée et notre si petit pays prend la main sur le marché des épices qui parfument les plats de toute l’Europe. Piment, cardamome, clous de girofle, poivre se vendent à prix d’or et la quête des épices initie la première mondialisation. Mais si les néerlandais sont au cœur de ce commerce mondial, pourquoi se contentent-ils alors de faire circuler ces épices plutôt que de les intégrer dans leurs recettes ?

Parce que si les Dutch ont créé la COV, c’est qu’ils subissent l’embargo des épices portugaises pour avoir rejeté le catholicisme : alors que les Pays-Bas dominent les saveurs du monde, ils perdent le goût des fioritures. Le pasteur français Calvin a fait des émules dans toute l’Europe et les Néerlandais se sont convertis à cette forme stricte du protestantisme. Ils développent alors une approche utilitaire de l’alimentation car le Calvinisme a une aversion pour la prétention et un amour sans borne pour la simplicité. Adieu les plaisirs excessifs, la gourmandise et le snobisme des Français avec leurs mets extravagants. Bonjour tristesse. Des lettrés, comme le poète Jacob Westerbaen, participent à diffuser l’idée qu’une cuisine rustique et sans chichi reflète toute l’honnêteté du travailleur tandis que les mets fantasques illustrent toute l’oisiveté des aristocrates

L’ancien Premier ministre néerlandais Jan Peter Balkenende a qualifié son pays de "nation la plus calviniste du monde”.
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Prenez-en bonne note si vous êtes invité à dîner chez des Néerlandais : il est impoli de s’attarder plus de 3 heures pour un repas. Oubliez donc les digestifs à rallonge qui vous gardent à table jusqu’au delà du raisonnable un soir de semaine.

C’est également le Calvinisme qui inculque aux Néerlandais leur rapport rigoureux au temps : le temps imparti par Dieu est compté et sa créature doit en faire le meilleur usage. Péché, donc, de s’attabler des heures autour d’un repas qui n’en finit pas. On ne mange pas pour le plaisir mais avant tout pour se nourrir. 

 

AVG : la fin des haricots

Les fleurons de la gastronomie néerlandaise, patate bouillies et autres stamppot, ne se popularisent véritablement qu’au 19e siècle, après la publication du chef d’œuvre Aaltje, die volmaakte en zuinige keukenmeid (“la cuisinière parfaite et économe”). Ce livre de recettes, aussi exaltant que son titre le laisse entendre, inonde les huishoudschool (les écoles d’arts ménagers) et la Sainte Trinité néerlandaise fait son entrée dans toutes les cuisines : l’insipide AVG. Aardappelen, vlees en groente. Pommes-de-terre, viande, légumes verts. Le sandwich (broodje), pas cher et vite avalé, devient également un plat national.

 

Ces cent dernières années, les Pays-Bas n’ont pas connu de révolution gastronomique majeure. C’est pourquoi les Français qui travaillent avec des Dutch témoignent tous, scandalisés, des habitudes de leurs collègues au déjeuner. Le compte Instagram @DailyDutchLunch illustre bien leurs coutumes étranges. Attention, certaines images pourraient heurter la sensibilité des plus épicuriens. 

 

Le 21e siècle : le bout du tunnel ?

Pour satisfaire leur clientèle Dutch (encore majoritaire malgré nos efforts), la majorité des restaurants offre donc des repas “efficaces” (copieux, rapides, pas chers). Mais tout n’est pas à jeter sur leurs menus et on sent pointer le début d’un prémisse de progrès. Avez-vous notamment remarqué leur niveau de créativité en termes de sandwich (le fameux) ? Si, avant notre expatriation, le sandwich évoquait davantage une rando en montagne qu’un tête-à-tête amoureux, on a bien dû se faire une raison et adopter, bon gré, ce caprice qui consiste à tout vouloir intercaler entre deux tranches de pain. Aujourd’hui, le traditionnel fromage s’est incliné devant houmous, guacamole, mayonnaise à la truffe et autres œufs mollets, et si les restaurants continuent d’appeler leurs créations « broodje » c’est bien pour rassurer la clientèle qui perdrait tous ses repères autrement.

 

Depuis quelques années, les Néerlandais ont également succombé aux cuisines du monde qui apparaissent comme un palliatif aux plats traditionnels. Sushis japonais, lasagnes italiennes, poke bowl hawaïens, avocado toasts (et toute option healthy) australiens, falafel libanais, curry indien, injera ethiopienne, etc. : l’offre est quasi démesurée. Ces restaurants s’inscrivent bien dans la veine du pays : pas d’excès alimentaire ou budgétaire avec un plat unique, peu cher, avalé en 1h chrono. Pas de quoi faire se retourner Calvin dans sa tombe.

De plus, cette diversité se trouve surtout dans les grandes villes. Quiconque s’est déjà attablé dans un petit village a pu rester dubitatif devant les menus « épurés » où les options healthy ou exotiques (en un mot « savoureuses ») brillent par leur absence.

Pendant ce temps

À quelques kilomètres de là, le roi des cuisiniers Auguste Escoffier définit la structure des repas (séquencés en plats) dans son Guide culinaire qui pose les bases de l’art gastronomique à la française.

Si les Dutch semblent avoir la rusticité dans l’ADN, la food-mania ne les a pas épargnés et ils salivent tout autant que nous devant top-chef et les milliers de livres de recettes publiés chaque année. Ici aussi les plats se doivent d’être aussi beaux que bons pour se pavaner sur Instagram et de nouveaux chefs talentueux tentent de redorer le blason de la cuisine néerlandaise en sourçant localement des produits de qualité pour imaginer des recettes audacieuses qui se dégustent sans se presser.

Affaire à suivre.